Sur la table en face de vous se trouve une enveloppe dans laquelle des résultats indiquent si vous risquez de développer un cancer ou non. Est-ce que vous l’ouvrez ? D’après Tali Sharot et Cass Robert Sunstein, environ 58% des personnes interrogées l’ouvrent tandis que 42% préfèrent ne pas savoir.
Pourquoi recherchons-nous certaines informations tandis que nous en évitons d’autres ? Sharot et Sunstein nous l’expliquent dans leur article « How people decide what they want to know » (2020). De quoi mieux comprendre l’influence des informations sur notre bien-être.
Attention, toute information n'est pas bonne à prendre !
On a longtemps pensé que rechercher des informations servait à prendre la bonne décision pour s’assurer des bénéfices et éviter des problèmes (« Cette entreprise est en faillite, on va peut-être éviter d’investir dedans »). L’information avait donc « une utilité instrumentale » : elle permettait d’atteindre nos objectifs. Et qui n’est pas heureux d’atteindre un objectif ? Dès lors, il n’est pas surprenant que la recherche d’informations stimule le système de récompense, un circuit neuronal que vous activez lorsque vous mangez ou buvez par exemple, (« Bravo, tu as évité un investissement risqué, voici des endorphines »).
La recherche d’informations serait donc potentiellement un plaisir en soi.
Pourtant, on le sait, il y a certaines informations dont on se passerait bien. Avant de rechercher une information, nous réfléchissons à ses potentielles conséquences sur notre bien être psychologique (« Si j’ai des chances d’avoir un cancer, comment vais-je me sentir ? »). Nous pensons aux conséquences sur nos actions, nos affects et nos cognitions. Notre cerveau fait sa petite popote avec les conséquences potentielles et juge si le résultat sera positif (« Globalement l’information est positive et rassurante : je recherche l’information »), négatif (« Globalement l’information me fait totalement flipper : j’évite l’information ») ou neutre (« L’’information n’apporte rien de positif ou négatif : je ne fais rien »).
Donc toute information n’est pas bonne à prendre ! Nous recherchons globalement des informations lorsque nous pensons qu’elles seront annonciatrices de bonnes nouvelles. Si l’on pense qu’elles seront négatives, on les fuit !
Revenons sur ces différentes conséquences possibles. Concernant nos émotions, nous évitons les informations qui risquent de provoquer des affects négatifs et nous recherchons les informations qui nous rendent heureux . On parle de la dimension hédonique de l’information, c’est-à-dire dans quelle mesure elle va provoquer des affects positifs. On la retrouve au quotidien : nous connaissons tous des personnes qui n’ouvrent jamais leurs résultats d’analyses médicales par peur de recevoir de mauvaises nouvelles. Ce genre de comportement permet notamment d’éviter tout regret tel que « Si je n’avais pas ouvert cette lettre, je ne serais pas paniqué car j’ai découvert que je risque d’avoir un cancer ». La dimension hédonique est ici par exemple extrêmement négative (personne ne pensera : « Cette lettre dis que j’aurais peut-être un cancer, quel bonheur ! »). C’est pour cela que certains sont prêts à payer pour obtenir des informations s’ils pensent qu’elles seront positives et à l’inverse à payer pour les éviter s’ils pensent qu’elles seront négatives.
Évidemment, il y a des exceptions. L’incertitude par exemple peut nous pousser à chercher des informations même si elles sont potentiellement associées à de mauvaises nouvelles. Imaginez une jeune fille qui attend anxieusement ses résultats pour le BAC. Même si elle a peur d’avoir échoué, elle préfèrera surement avoir ses résultats plutôt que de rester dans le doute. À l’inverse, de bonnes nouvelles peuvent être retardées pour garder un effet de surprise. Certains parents préfèrent ne pas connaitre le sexe de leur bébé avant le jour de l’accouchement.
Nous cherchons les informations lorsqu’elles vont provoquer des affects plus positifs que ceux que nous ressentons dans l’état actuel d’ignorance.
Concernant nos cognitions, les informations peuvent nous donner l’impression (ou pas) de mieux comprendre notre monde. Globalement, nous recherchons des informations qui vont conforter notre façon de penser et nous évitons celles qui la contredisent (exemple : un manager convaincu de l’efficacité d’une formation fermera les yeux sur les indicateurs montrant son inefficacité). Enfin, pour les actions, on retrouve la question de « l’utilité instrumentale ». Les vieux modèles théoriques nous disaient que toute information pouvait être utile, même si elle paraissait peu importante à un instant t. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas ! Le fait de ne pas connaître le sexe d'un candidat peut par exemple améliorer les décisions d'embauche en réduisant les préjugés (exit le : « Une femme directrice de projet ? Vous êtes sûr ? »). Dans ce cas il vaut mieux ne pas connaitre l’information (même pas avant, « au cas où »), car une fois qu’un recruteur connait le sexe d’un candidat, il ne peut pas l’ignorer après coup.
Des biais, en veux-tu, en voilà
Le monde serait beau si nous recherchions les informations de façon impartiale et sans biais. Mais ce monde-là n’existe pas. Pour chaque information nous devons jauger son impact : est-ce qu’elle annoncera une bonne ou une mauvaise nouvelle ? C’est un processus délicat et parfois les rouages se bloquent. Du coup, on fait des gaffes. Nous sommes mauvais pour estimer des probabilités et pour prédire le contenu d’une information. Et il peut y avoir de grands écarts entre l’utilité que l’on attribue à une information et sa réelle utilité une fois qu’on l’a obtenue.
Il est grand temps de voir ensemble les différents biais qui mènent certains à chercher trop d’informations et d’autres à les fuir comme la peste :
1. L’illusion de contrôle : nous l’avons vu précédemment, certains sont prêts à payer pour des informations. Malheureusement, les individus ont tendance à surestimer l’influence de leurs actions sur les résultats qu’ils observent. Ils risquent de vouloir payer des sommes faramineuses pour des informations finalement peu utiles, parce qu’ils surévaluent leur utilité et leur capacité à changer des résultats (« Je vais payer 2000 euros pour une consultation astrologique. Comme ça, on saura si ma nièce va avoir le bac ou non »).
2. Optimisme irréaliste : Dans la même famille, je demande le fils ! L’optimisme irréaliste est un autre type de surestimation. Ici, les individus ont tendance à surestimer les chances que l’information soit positive et à sous-estimer les risques qu’elle soit négative. Conséquences ? On se surexpose à des informations négatives et on augmente le risque d’être déçu (« Je suis sûre que j’ai réussi mon concours haut la main ! […] Ah non, en fait je l’ai complètement loupé… »).
3. Biais d’impact : Les gens ont tendance à surestimer la durée et l'intensité des états affectifs futurs. C’est pourquoi certains vont d’autant plus rechercher des informations s’ils pensent qu’elles seront positives et d’autant plus les éviter s’ils pensent qu’elles seront négatives. Un homme âgé évitera par exemple d’effectuer un dépistage de la maladie d'Alzheimer s’il considère que les résultats pourraient être dévastateurs. Le dépistage pourrait pourtant lui permettre de se préparer à faire face (ou le résultat pourrait se révéler négatif !).
4. L’illusion de savoir : Il est vrai que l’espèce humaine sait beaucoup de choses. Mais nous avons malheureusement tendance à sous-estimer l’impact de nouvelles informations sur notre façon de penser. On risque alors de sous-évaluer l’apport de certaines informations et donc moins les rechercher (« Je ne pense pas que ce livre sur le réchauffement climatique me fasse changer d’avis »).
5. Confiance excessive : On a tous cet oncle qui considère qu’il sait tout et qu’il n’a plus rien à apprendre. Du coup, il reste dans son confort intellectuel. Cet oncle fait preuve de confiance excessive. C’est un biais qui le mène à sous-estimer à quel point de nouvelles informations pourrait réduire son incertitude (« Aller à un cours d’anglais ? Tu sais, l’anglais c’est comme le vélo : ça ne s’oublie pas ! »).
Nous ne sommes pas tous égaux face à ces biais. Les personnes anxieuses par exemple tolèrent mal l’incertitude. Donc elles surestiment souvent la valeur des informations.
Ces biais nous touchent tous, dans des proportions différentes. D’où les décalages entre nos attentes et les bénéfices que nous retirons réellement des informations.
Présenter l'information de manière à s'assurer qu'elle soit traitée
On peut retenir différentes choses de cet article. Premièrement : il faut faire attention à la manière dont on présente une information ! Les flyers sont un bon exemple : pour rendre une information attrayante, il faut donner l’impression aux lecteurs qu’elle aura un impact positif (« Ce programme minceur a été créé en collaboration avec le grand diététicien Jean-Yves Dubois ! »). Il est aussi intéressant de formuler l’information de manière à ce qu’on comprenne bien comment elle nous sera utile et nous rendra « heureux ». (« Il vous aidera à perdre du poids avec ses recettes simples et équilibrées »).
N’oublions pas que nous pouvons être sujets à de nombreux biais et que nous ne sommes pas égaux face à eux. Lorsqu’on présente une information, il faut qu’elle cible bien ses destinataires. Pour une présentation devant une équipe de collaborateurs assez anxieux vis-à-vis d’un projet, on sait qu’ils risquent de surestimer l’impact négatif des informations. Mieux vaut donc éviter d’être alarmiste concernant les potentiels problèmes rencontrés et dédramatiser la situation.
En bref, il faut garder à l’esprit que nous ne jugeons pas uniquement du caractère utile d’une information, mais aussi de son impact potentiel sur notre ressenti affectif. Si elle risque d’être négative, nous préférons parfois l’éviter (« Si je ne monte pas sur la balance je ne saurais jamais si j’ai pris du poids ! »).
Cela peut avoir un impact concret sur votre quotidien. Vous avez un collègue qui déteste les mauvaises surprises et a une peur maladive de l’échec ? Et vous venez d’apprendre qu’il y a eu un petit cafouillage dans le projet ? Dites-lui simplement que vous avez des informations inhabituelles mais encourageantes pour le futur. Vous avez aussi une collègue trop optimiste qui veut se renseigner sur le marché et pense pouvoir écraser tous les concurrents ? N’hésitez pas à lui faire comprendre qu’ils sont plutôt en forme en ce moment et qu’elle va probablement tomber sur des informations préoccupantes. Mais sans la brusquer : on ne voudrait pas qu’elle évite de chercher par peur d’affects négatifs.
Plus globalement, nous gagnerions tous à prendre en compte ces tendances naturelles et ces biais lorsque nous devons transmettre des messages importants. Une meilleure présentation des informations garantit un meilleur traitement de celles-ci, et donc in fine une ambiance générale apaisée.
Tout est une question d’équilibre et de prise en compte de l’impact émotionnel des informations.
L'article complet de Sharot et Sunstein est consultable sur le site de Nature Human Behaviour.
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