Mâcher un chewing-gum trop fort, taper bruyamment sur un clavier, siffler gaiement sans cesse... Ce sont peut être des habitudes qu'ont certains de vos collègues et qui vous agacent. Alors vous avez imaginé un monde parfait où ils changeraient leurs habitudes... mais hélas vous ne trouvez pas de solution pour faire de ce rêve une réalité !
Dans leur article « To break a habit, timing’s everything », Robert J. Courter et Alaa A. Ahmed (2019) nous fournissent quelques astuces pour comprendre comment aider nos collègues (et peut-être aussi nous-même !) à changer les bonnes vieilles habitudes résistantes.
J'ai cette fâcheuse habitude de...
Mais alors, peut-on considérer que "Mâcher un chewing-gum trop fort, taper bruyamment sur un clavier, siffler gaiement sans cesse" soient des habitudes ? Comment définit on vraiment une habitude ? J'entends à l'oreillette qu'on me répond :
« Quelque chose que l’on fait souvent »,
« Quelque chose qui se fait tout seul »,
« Quelque chose auquel on ne réfléchit pas ».
Oui, une caractéristique importante de l’habitude est son côté acquis. Personne ne nait avec l’habitude de rouvrir la porte du frigo plusieurs fois pour vérifier qu’il est bien fermé... En général, on génère cette habitude en apprenant à associer un stimulus (la porte du frigo) avec une réponse (la rouvrir plusieurs fois après l’avoir fermée). Dès lors que l'association existe, elle se déclenche automatiquement quand vous entrez en contact avec un élément précis (ici la porte de frigo). Cherchons un autre exemple... Si vous êtes fumeur⸱se et que vous avez l’habitude de descendre fumer avec un collègue, le simple fait de le voir se lever et mettre son manteau peut vous amener à prendre votre paquet de cigarette sans bien vous en rendre compte. Votre collègue qui se lève est le signal qui indique à votre cerveau qu’il est temps d'aller fumer. Votre réponse automatique est le fait de prendre votre paquet. D'ailleurs, ce comportement résulte tellement d'une habitude, que même si l’habitude a des effets négatifs, elle se produira. Donc si vous essayez d’arrêter de fumer, l’habitude se déclenchera même si elle constitue un risque de rechute - libre à vous néanmoins d'adopter le comportement.
L’habitude est une réponse automatique face à un élément déclencheur.
L’habitude est un processus rapide
Qu'en est-il alors lorsque nous réfléchissons aux différents coûts et bénéfices potentiels pour choisir la meilleure réponse possible ? C’est ce que les auteurs appellent « la réponse axée sur un objectif ». Elle repose sur des délibérations, alors même qu'à l’inverse, le principal avantage des habitudes est qu’elles ne nécessitent pas de réflexion lente et complexe. Imaginez si vous deviez chercher quel itinéraire prendre pour aller travailler tous les matins ! Le fait d'avoir un "trajet habituel" nous permet l'économie de cette réflexion au saut du lit.
Néanmoins, c'est justement ce caractère automatique qui fait que les habitudes sont difficiles à changer. Des chercheurs qui ont fait répéter des comportements à des animaux jusqu'à la création d'habitudes ont pu observer qu'il devenait ensuite compliqué d’en changer : on parle « d’inflexibilité ». Mais observer ce phénomène chez des êtres humains s’avère plus complexe. Selon Hardwick et ses collaborateurs (2019), s'explique par le fait que les habitudes peuvent exister sans pour autant s’exprimer par un comportement. Ils pensent également que les études actuelles ne distinguent pas correctement les habitudes et les réponses axées sur des objectifs : pour observer des habitudes, il faudrait demander aux participants de répondre plus rapidement, de manière à ce qu’aucune réflexion ne soit possible. En l’état actuel, les études ne démontrent pas de réponses habituelles chez les humains parce qu’elles laissent trop de temps aux participants pour cogiter, et l’habitude n’est donc jamais initiée. Finalement, ce serait comme pour les mouvements. Vous pouvez vous préparer à sauter en parachute, mais cela ne signifie pas pour autant que vous allez initier le mouvement (« Euh…c’est haut quand même là… »). Vous êtes pourtant bien capable de le faire (si vous en avez le courage).
Les habitudes sont rapides tandis que les réponses axées sur un objectif sont lentes et réfléchies. Si l’on veut observer une habitude, le mieux est de demander aux individus de répondre rapidement : comme ça, 0 réflexion !
Une étude a particulièrement bien illustré cette idée : on demandait à des participants d’apprendre une association entre des symboles et des boutons (« Une étoile = bouton rouge »). Lorsqu’un symbole apparaissait sur leur écran, ils devaient appuyer sur le bouton correspondant. Après 4 jours d’entrainement, les participants étaient très rapides et faisaient peu d’erreurs. Les chercheurs leur ont ensuite demandé d’apprendre une nouvelle association avec les mêmes symboles et boutons (désormais : « Une étoile = bouton vert »).
Le fait que la première association soit devenue habituelle aurait alors dû entraîner une inflexibilité. Concrètement, les participants auraient dû faire de nombreuses erreurs durant cette seconde tâche. Pourtant, quand les chercheurs laissaient les participants réaliser la tâche à leur rythme, ils réussissaient aussi bien la seconde tâche que la première. L’habitude n’était pas visible.
Deuxième setting : les participants entendaient 4 « bips » espacés de 400 millisecondes (c’est très peu), et le symbole indiquant sur quel bouton appuyer pouvait apparaitre sur l’écran à n’importe quel moment durant ces « bips ». Une étoile pouvait par exemple s’afficher sur l’écran quasiment instantanément (pas de chance) ou au bout de 1200 millisecondes (tranquille). Les participants étaient obligés de répondre lorsque le symbole apparaissait, peu importe leur niveau de préparation.
Quand le symbole apparaissait trop rapidement, les participants étaient moins précis et leurs erreurs correspondaient aux associations qu’ils avaient appris au cours de la première tâche (« Ah mince c’est vrai, maintenant « Une étoile = bouton vert » et pas bouton rouge ! »). Ces associations étaient donc bel et bien devenues habituelles mais n’étaient pas visibles durant la première étude car les participants pouvaient prendre leur temps pour réfléchir et répondre.
Cet effet est encore plus fort pour les habitudes répétées. Des participants qui doivent changer d'habitude un jour sur l'autre n’ont pas eu le temps de former des habitudes résistantes. Par contre, c’est une autre histoire pour ceux qui s'entrainent : après 20 jours à apprendre qu' « Une étoile = bouton rouge », difficile de switcher à « Une étoile = bouton vert » !
Alors comment changer des habitudes qui dérangent ?
Quand on veut se débarrasser d’une habitude, on se dit souvent qu’il faut la remplacer par une autre (« Pourquoi ne pas manger des sucettes plutôt que de fumer une cigarette ?»). Mais il serait apparement plus efficace de travailler sur le délai que l’on a entre le stimulus et notre réponse. Il faut se laisser le temps de réfléchir et repérer nos propres habitudes afin d’être plus alerte. La prochaine fois que votre collègue prendra son manteau et que vous essayerez d’attraper votre paquet de cigarette, prenez le temps d’observer la scène et de réfléchir. La déconstruction de cette habitude passera par quelques instants où vous vous attarderez et penserez à vos objectifs, comme arrêtez de fumer par exemple.
Sur le plan professionnel, les petites habitudes désagréables peuvent être sources de tension. Chacun gagne à s’observer et à réfléchir sur ce qui pourrait constituer un automatisme gênant pour les autres. Le changement passe alors par un moment où on se dit : « Stop : qu’est-ce qui déclenche ce comportement, comment agir dessus ? ». L’identification des stimuli déclencheurs est un premier pas vers une ambiance de travail apaisée.
Pour perdre vos mauvaises habitudes, prenez votre temps !
L'article complet de Courter et Ahmed est consultable sur le site de Nature Human Behaviour.
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